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Si tu pouvais rester bloqué à un âge pour toujours, quel serait-il ?

Selon le Livre Guinness des records, l’Allemand Gustav Gerneth est, à 113,4 ans, l’homme le plus âgé toujours vivant sur terre, et ce, depuis janvier. Chez les femmes, la Japonaise Kane Tanaka est devenue, en juillet dernier, la doyenne de l’humanité avec ses 116 ans bien sonnés.

Mais tous deux battront-ils les records de longévité masculin et féminin?

Dans le cas de M. Gerneth – né à Stettin (Empire allemand), désormais connue sous le nom de Szczecin (Pologne) –, il est probable qu’il éclipse le record masculin de 116 ans et 54 jours.

«Mais pour Mme Tanaka, il est improbable qu’elle vive au-delà des 122 ans et 164 jours de Jeanne Calment [une Française détenant le record féminin et humain de longévité depuis 1997] en raison de la nature très exceptionnelle de la longue durée de vie de Mme Calment», dit Nadine Ouellette, professeure au Département de démographie de l’Université de Montréal.

Établir la courbe de mortalité des supercentenaires

Nadine Ouellette fait partie d’un réseau international de chercheurs démographes qui s’intéressent à la mortalité aux âges extrêmes de la vie humaine, soit celle des semi-supercentenaires – âgés de 105 à 109 ans – et des supercentenaires – âgés de 110 ans ou plus.

Le travail de Nadine Ouellette et ses collègues consiste d’abord et avant tout à s’assurer de la véracité des renseignements sur l’âge de ces gens réputés avoir vécu jusqu’à un âge si avancé. Pour cela, les chercheurs s’appuient sur un protocole rigoureux de validation de l’âge des individus décédés, faisant intervenir principalement les actes de naissance et de décès et les données de recensements. Pour les cas de longévité les plus exceptionnels, ils peuvent aller rencontrer les personnes elles-mêmes lorsqu’elles sont encore vivantes ou les membres de leur famille.

«Il est important d’authentifier au minimum la date de naissance au jour près en trouvant le document officiel, mais aussi de mettre la main sur le certificat de décès de l’individu, tout en sachant que des erreurs peuvent être survenues lors de la numérisation des données issues de documents papier, mentionne Mme Ouellette. De plus, il arrive que la famille gonfle l’âge de l’aîné décédé pour le prestige!»

Une fois les données validées, les démographes les utilisent pour servir leur objectif ultime: faire avancer les connaissances relatives à la forme de la courbe de mortalité aux âges les plus élevés.

«La courbe des quotients de mortalité indique la probabilité, à chaque âge, qu’une personne célèbre son prochain anniversaire, précise Mme Ouellette. Chez les gens très âgés, soit autour de 105 ans, cette probabilité est de 50 %, mais nous ignorons comment cette probabilité varie au fil des années suivantes.»

Cette probabilité de 50 % vaut pour l’«individu moyen», car elle ne prend en compte ni la qualité et les habitudes de vie des semi- et des supercentenaires, ni leur état de santé; la probabilité de survivre une année de plus peut donc être plus ou moins grande, selon le cas.

La fiabilité des données en France

Nadine Ouellette et ses collègues ont acquis une expertise quant à la mortalité à partir de 110 ans dans les pays où l’on peut désigner les supposés supercentenaires. D’ailleurs, dans une étude à paraître sous peu et portant sur la fiabilité des données sur les personnes prétendument décédées à 105 ans ou plus en France, ils étendront leurs analyses de la courbe de mortalité aux semi-supercentenaires.

Pourquoi la France? «Parce que depuis plusieurs décennies déjà, les Françaises maintiennent leur place dans le peloton de tête au chapitre de la longévité humaine. On trouve donc en France un nombre grandissant d’hommes et de femmes qui vivent au moins jusqu’à 100 ans et, de ce fait, qui sont susceptibles d’atteindre des âges encore plus avancés», explique la professeure de l’UdeM.

En effet, selon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques, la France comptait à peine 1000 centenaires en 1970, comparativement à 21 000 en 2016. Plus encore, on estime qu’en 2070 pas moins de 270 000 Français atteindront l’âge de 100 ans!

À partir du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), les chercheurs ont validé de façon pratiquement exhaustive les cas de prétendus semi-supercentenaires et supercentenaires pour les générations françaises nées entre 1883 et 1901.

Ils ont ainsi été en mesure d’authentifier l’existence de 213 personnes ayant vécu au-delà de 110 ans, tandis que le RNIPP en comptait 231, et 1043 âgées de 105 à 109 ans parmi les 1050 supposés semi-supercentenaires du RNIPP.

«Cela montre que les données du RNIPP sont très fiables pour déterminer la forme de la courbe de mortalité aux âges extrêmes, affirme Mme Ouellette. Jusqu’à 109 ans, le risque d’erreur dans le RNIPP est minime et c’est important, car le nombre de ces très vieilles personnes s’effritant rapidement avec le temps, toute fausse déclaration peut avoir un effet considérable sur nos calculs.»

L’auteure ajoute: «Nos analyses laissent voir que la courbe des quotients de mortalité se stabilise autour de 50 % entre chaque anniversaire dans la tranche d’âge 108-111 ans pour les femmes. Impossible cependant de se prononcer au-delà de 111 ans, car il y a trop peu de survivantes.»

Un record de longévité bientôt battu?

L’établissement de la courbe de mortalité permet notamment aux démographes de savoir si les limites de la longévité humaine pourront être davantage repoussées. «Nous participons ainsi au débat sur les possibles limites infranchissables de la vie humaine», poursuit Nadine Ouellette.

Dans cette perspective, peut-on penser qu’un record de longévité pourra être bientôt battu?

Pour l’exercice, reconsidérons le cas de l’Allemand Gustav Gerneth, âgé de 113 ans, et celui de la Japonaise Kane Tanaka, qui a 116 ans, et explorons la possibilité qu’ils survivent jusqu’à égaler les records de longévité masculin et féminin, respectivement.

L’homme possédant le record de longévité est le Japonais Jiroemon Kimura; né en 1897 et décédé en 2013, il a vécu 116 ans et 54 jours. «En 2015, nous avons estimé que, pour battre ce record, le temps d’attente serait d’environ six ans, ce qui signifie que, d’ici deux ans, M. Gerneth pourrait l’atteindre s’il survit», déclare Nadine Ouellette.

Pour les femmes, l’affaire est tout autre: la détentrice du record, la Française Jeanne Calment, est née en 1875 et décédée en 1997, à l’âge de 122 ans et 164 jours. «D’après nos calculs, la probabilité d’occurrence d’un nouveau record entre son décès en 1997 et la fin de l’année 2015 s’avérait très faible, en deçà de 5 %. Il s’avère plus qu’improbable pour Mme Tanaka d’établir un nouveau record», souligne la démographe.

De plus, avec ses 116 ans, la probabilité de survie de Mme Tanaka jusqu’à son prochain anniversaire (le 2 janvier 2020) s’établit à environ 50 %, si la stabilité de la courbe de mortalité se poursuit aux âges les plus extrêmes. Et ainsi de suite, jusqu’à son 122e anniversaire, qu’elle célébrerait dans six ans (le 2 janvier 2025). Mathématiquement, elle a donc autour de 1,5 % de chance de survivre jusque-là (c’est-à-dire 50 % élevé à la puissance 6, en langage mathématique).

«Le cas de Jeanne Calment est une exception parmi des exceptions, conclut Nadine Ouellette. Bien que la baisse de la mortalité aux grands âges se poursuive dans les pays développés, d’après nos projections, Mme Calment pourrait conserver son précieux titre pendant plusieurs décennies encore.»

Nombre croissant de centenaires et de semi-supercentenaires au Québec

Le Québec est aussi le théâtre d’une explosion du nombre de centenaires et de semi-supercentenaires (personnes âgées de 105 à 109 ans) au sein de la population.

Au début du 20e siècle, ils n’étaient qu’une poignée tandis que, à présent, ils sont plus de 1500 hommes et femmes à être âgés d’au moins 100 ans. Et l’on estime que, d’ici 2061, ce nombre atteindra 35 000!

Par ailleurs, il y a plus de 70 personnes ayant atteint 105 ans aujourd’hui au Québec; en 1980, on ne comptait que 10 semi-supercentenaires.

Pour les supercentenaires, soit les gens de 110 ans et plus, on n’en dénombre que de deux à quatre par année.

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