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Entre la personne qui vous a soutenu quand vous n’aviez rien et la personne qui vous a aidé à devenir qqn

Qui épouseriez-vous?

« La relation avec mon conjoint ne fonctionnait pas très bien. Je ne recevais aucun soutien de la part de mon conjoint. [Pourtant], je l’avais soutenu lorsqu’il avait créé son entreprise. J’aurais attendu qu’il en fasse de même pour moi !… Je pense que, maintenant, il est agacé parce que je lui demande plus d’aide, surtout pour les enfants et dans la vie de tous les jours. Il l’accepte difficilement, surtout parce que je travaille de chez moi et il pense que je pourrais donc faire toutes ces choses ! »(Femme entrepreneur 1)

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« Il était heureux de me prêter main-forte et j’en étais ravie parce que je pouvais partager certains sujets en lien avec mon business avec lui. Nous avons souvent échangé, estimé l’offre, calculé le coût de revient… Je trouve que nous sommes assez complémentaires et c’est extra de pouvoir s’entraider surtout sur des thématiques professionnelles… Je ne remercierai jamais assez mon mari d’être ce qu’il est. Je n’aurais pas imaginé mieux ! »(Femme entrepreneur 3)

3Ces deux exemples illustrent les différentes natures et les niveaux hétérogènes de soutien apportés par les conjoints aux femmes entrepreneurs, du moins telles que ces dernières le perçoivent. Ils illustrent aussi le sujet de notre recherche : les conditions du soutien du conjoint à l’entrepreneuriat féminin. Dans la littérature en entrepreneuriat, ce dernier est considéré comme une catégorie de support « social » (House, 1981). Son rôle positif dans l’entrepreneuriat familial mais, d’une manière plus générale, dans toute démarche entrepreneuriale, est attesté (Jianakoplos, Bernasek, 2008 ; Winkler, Ireland, 2009). Aussi, ce présent travail s’intègre-t-il dans l’ensemble des recherches et des appels à contributions pour une meilleure compréhension du rôle du conjoint et de la famille dans l’entrepreneuriat et, par là même, de l’intégration de la vie privée dans la compréhension du succès ou de l’échec de l’entrepreneuriat

(Jennings, McDouglad, 2007 ; Danes, 2011). Les recherches existantes sur ce sujet témoignent que ce soutien serait plus important pour la femme entrepreneur que pour son homologue masculin (Kirkwood, 2009). Toutefois, si les effets bénéfiques du soutien du conjoint sur l’entrepreneur et en particulier sur la femme entrepreneur s’avèrent attestés, la question de la nature du soutien et du moment durant lequel il convient de le réaliser, de son impact sur la femme entrepreneur reste encore sans réponse.

Jusqu’à présent, les travaux de recherche sur le soutien du conjoint à l’entrepreneur ou à tout individu qui poursuit une carrière professionnelle se réduisent soit à catégoriser la nature du soutien (Ezzedeen, Ritchey, 2008 ; Kirkwood, 2009 ; Maisel, Gable, 2009), soit à illustrer l’impact du conjoint sur le succès de son mariage ou de l’épanouissement de la femme sur un plan affectif (Bradbury, Karney, 2004 ; Brock, Lawrence, 2009 ; Carlson, Perrewé, 1999). À notre connaissance, aucun d’entre eux ne semble s’intéresser aux antécédents du couple pour qualifier ce statut, ce qui semblerait pourtant être au fondement du support du conjoint. Aussi, notre recherche vise-t-elle à combler ce manque en répondant à deux questions corrélées : qu’est ce qui détermine la nature et le soutien du conjoint à l’entrepreneuriat féminin ? Comment l’entrepreneuriat féminin impacte-t-il la relation de couple ?

Pour ce faire, partant des récits d’entrepreneuriat et de vie au quotidien de douze femmes entrepreneurs scandinaves, relatés à la fois par la femme et par leur conjoint, nous tentons d’expliquer les raisons du soutien du conjoint à la femme entrepreneur fondé sur la théorie du contrat de mariage et sur l’adhésion aux « conceptions » relatives aux rôles respectifs de la femme et de l’homme dans la société en général (Agapiou, 2002).

Cette recherche met en évidence plusieurs contributions. Premièrement, elle révèle que la nature et le niveau du support que le conjoint apporte à la femme entrepreneur peut être prédit en fonction de l’adhésion aux stéréotypes (ou idéologie) qui guident chacun de ces deux individus en matière de répartition des rôles selon les sexes. Deuxièmement, ce travail démontre que la qualité des liens de la relation de couple est un facteur déterminant pour obtenir le soutien du conjoint et ainsi assurer la bonne réussite de la démarche entrepreneuriale.

4Cet article s’organise de la manière suivante : nous proposons, tout d’abord, une revue de littérature sur le soutien du conjoint à la femme entrepreneur. Ensuite, dans une démarche inductive, nous présentons un cadre théorique fondé sur la théorie de la relation maritale (Sager, 1976) et sur les stéréotypes. Ce cadre sert de grille de lecture pour analyser des verbatims de douze couples de femmes entrepreneurs dans les pays de Scandinavie. Dans une troisième partie, nous proposons les résultats de cette analyse et concluons sur les apports et les limites de notre recherche, ainsi que sur les travaux de recherche futurs sur le rôle du conjoint comme soutien à la femme entrepreneur.

1 – Revue de littérature : le soutien du conjoint à l’entrepreneuriat féminin et à la femme

5Cette recherche s’intéresse aux conditions du soutien du conjoint à l’entrepreneuriat féminin et cherche à répondre à deux questions corrélées : qu’est ce qui détermine la nature et le soutien du conjoint à l’entrepreneuriat féminin ? Comment ce soutien est-il perçu par la femme entrepreneur ? Notre réflexion repose sur deux axes de la littérature en entrepreneuriat, d’une part la recherche d’une explication au faible taux d’entrepreneuriat féminin et, d’autre part, le rôle du soutien du conjoint dans les démarches entrepreneuriales.

1.1 – Comment expliquer la faible part des femmes dans les démarches entrepreneuriales ?

6La littérature sur l’entrepreneuriat féminin, abondante ces dernières années, est en quête d’une explication du faible taux d’entrepreneuriat féminin – environ 30 % des entrepreneurs sont des femmes en France, 33 % aux États-Unis – et des raisons pour lesquelles la majorité des entreprises créées par des femmes sont monosalariées (Sharma, 2012). Ces recherches reposent souvent sur une hypothèse implicite et rarement reconnue chez les auteurs, selon laquelle la femme entrepreneur serait « secondaire » à l’homme entrepreneur (Ahl, 2006). Ce dernier auteur estime que le fait que ces recherches soient essentiellement menées par des femmes biaiserait à la fois la nature du questionnement mais également le protocole et, de fait, les résultats sur l’entrepreneuriat féminin. Sans pour autant nier ce danger, nous partageons aussi les réponses que font Hughes, Jennings, Brush, Carter et Welter (2012) à cette critique, estimant que cette dernière est généralisable à l’ensemble de la recherche en entrepreneuriat, concentrée sur une conception trop individualiste de l’entrepreneur, reprenant les reproches formulés par d’autres chercheurs (Dimov, 2007). En outre, la critique formulée par Ahl pourrait être généralisable à l’ensemble des travaux de recherche (David, 2002).

7Au-delà de ce biais, la littérature soulève bon nombre d’explications et de controverses pour expliquer le faible taux d’entrepreneuriat féminin. La première explication est la mise en évidence d’une discrimination dont feraient part les institutions – les banques, les business angels – envers les femmes (Welter, 2007). Pourtant, cette discrimination, sitôt identifiée, devient controversée, à l’instar des résultats de Carter, Shaw, Lam et Wilson (2007) sur les prêts accordés aux hommes et aux femmes entrepreneurs, démontrant que le problème ne résiderait pas tant dans le jugement discriminatoire des institutions que dans la maladresse dont les femmes feraient part lors de la négociation d’un prêt. Ce résultat se retrouve également dans d’autres travaux de recherche selon lesquels les femmes entrepreneurs seraient moins habiles que les hommes dans leur démarche à cause de leur formation ou de leurs expériences professionnelles passées (Robinson, Sexton, 1994 ; Dolinksy, Caputo, Pasumarty, Quazi, 1993). En outre, l’éducation familiale

(Shinnar, Giacomin, Janssen, 2012) comme scolaire (Byrne, Fayolle, 2010) pourrait expliquer la différence entre hommes et femmes envers la démarche entrepreneuriale. Dans certains cas, les femmes qui souhaiteraient se lancer dans une expérience professionnelle seraient alors obligées de transformer leur comportement pour se conformer aux critères de jugement et d’évaluation, en particulier pour créer des entreprises dans des domaines considérés comme traditionnellement masculins, comme les activités High Tech (Watson, 2002 ; Marlow, McAdam, 2012).

8Sans pour autant nier ces résultats, notre recherche se concentre sur l’exploration d’une autre source de soutien à l’entrepreneuriat, autre que celle des institutions précédemment mentionnées : la famille, qui est nécessairement impactée par le projet entrepreneurial, et, en particulier, le conjoint. Cette piste connaît un certain intérêt en entrepreneuriat : pris par son activité,

l’entrepreneur ne parviendrait plus à concilier vie privée et vie professionnelle (Jennings, McDouglad, 2009). Cette situation serait d’autant plus génératrice de stress si l’entrepreneur, en particulier la femme entrepreneur, ne parvient pas à obtenir le soutien de son conjoint (Eddleston, Powell, 2012).

1.2 – Le besoin du soutien du conjoint par la femme entrepreneur : une spécificité ?

9Bon nombre de recherches atteste de la difficulté d’être un entrepreneur et de la nécessité de l’accompagnement et du soutien tant dans la formation du projet, dans l’exercice des levées de fonds (Redis, 2006) mais également dans la gestion de l’entreprise au quotidien, en particulier lorsque la santé de l’entreprise est défaillante (Valeau, 2006). Les figures du soutien entrepreneurial sont variées, impliquant l’ensemble des parties prenantes du projet (Roessl, Fink, Kraus, 2008).

10Parmi ces soutiens, les recherches pointent du doigt l’importance du conjoint. Gundry et Welsch (1994) comme Werbel et Danes (2010) rappellent que ce dernier est une partie prenante indéniable puisqu’il possède un véritable droit de décision sur l’engagement du capital initial, souvent issu des fonds de la famille ou des économies de l’entrepreneur mais qui est, avant tout, un membre du couple et de la famille. Daviddson et Honig (2003), dans une analyse qualitative sur l’identification des figures de soutien social à l’entrepreneur naissant, mettent en évidence le rôle du conjoint comme facilitateur ou, au contraire, entrave à la décision de créer une entreprise sans toutefois pouvoir préciser en quoi ce conjoint peut ou non aider la démarche entrepreneuriale.

11Les récents travaux sur l’entrepreneuriat féminin tendent à montrer que le rôle du conjoint serait d’autant plus important pour la femme. Kirkwood (2009) relate que la femme consulte son conjoint avant toute décision de nature entrepreneuriale, spécificité attestée par d’autres recherches (Brush, 1992). Ce point serait une spécificité féminine, qui, selon ce dernier auteur, aborde son travail professionnel dans une perspective relationnelle. Autrement dit, contrairement à son homologue masculin, la femme entrepreneur échangerait avec les parties prenantes, en particulier avec son conjoint, avant de prendre une décision sur son activité professionnelle.

12Pour autant, en dépit de l’importance du rôle du soutien du conjoint sur l’entrepreneuriat féminin, peu de recherches se sont intéressées aux déterminants de ce support, ni aux conditions d’apparition de ce support, encore moins à la manière avec laquelle la femme entrepreneur reçoit ce soutien. Bien au contraire, les travaux existants ne portent pas réellement sur la femme entrepreneur et se bornent soit à identifier certains moments dans lequel ce soutien apparaît, soit à catégoriser les formes que peut prendre le soutien du conjoint. Aussi, l’impact du soutien du conjoint a été analysé dans des situations jugées stressantes pour la femme, comme la grossesse (Blanchard et al., 2009), le cancer du sein (Hinnen et al., 2009), lorsque les deux membres du couple poursuivent une carrière à succès

(Parasuraman et al., 1992). Quant aux typologies de formes de soutien du conjoint à la femme, ces dernières sont relativement nombreuses. Se fondant sur l’analyse d’interviews inductives auprès de 20 femmes cadres dirigeantes, Ezzedeen et Ritchey (2008) ont construit une typologie de la nature du soutien du conjoint par ordre d’importance descendant : le soutien émotionnel, le soutien moral

(maintien de l’estime de soi), l’aide apportée aux autres membres de la famille, le support dans la carrière et, enfin, l’aide dans les tâches ménagères. Välimäki et al. (2009), se fondant sur l’analyse d’un échantillon de 29 femmes finlandaises, proposent une typologie de support en fonction du comportement du conjoint. Ce dernier peut être déterminant, souteneur, instrumental, flexible ou contreproductif.

Par comparaison, l’analyse de l’échantillon de Kirkwood, composé de 68 entrepreneurs, dont 45 hommes et 23 femmes, en Nouvelle-Zélande, propose également une typologie de soutien, allant du co-fondateur de l’entreprise au conjoint non supporteur (Kirkwood, 2009). Les résultats de ce chercheur mettent également en évidence que le support du conjoint semble plus important pour les femmes que pour leurs homologues masculins, dans la mesure où bon nombre de femmes créent leur entreprise avec leur conjoint et aucune sans le soutien et l’accord de ce dernier. Au contraire, six des entrepreneurs masculins interrogés ont fondé leur entreprise sans aucune aide – du moins déclarée – de leur conjoint.

13En conclusion, cette revue de littérature sur le soutien du conjoint met clairement en évidence le rôle crucial de ce dernier, parmi tous les autres soutiens sociaux possibles. Les quelques travaux menés sur le sujet s’intéressent plus sur les femmes en activité que les femmes entrepreneurs et, surtout, se concentrent sur l’identification de ce support et son impact sur la femme sans pour autant rechercher les causes de ce support. Notre propos est donc de combler partiellement ce manque en approfondissant un postulat selon lequel la qualité de la relation de couple pourrait impacter le soutien du conjoint tant bénéfique aux femmes entrepreneurs.

1.3 – Éclairage théorique exploratoire

14Notre objectif est de proposer un apport théorique sur l’impact de la relation de couple sur le soutien du conjoint à la femme entrepreneur et, de fait, nous inscrivons notre recherche dans une démarche émergeante (Edmondson, McManus, 2007). Au vu du manque de théorie sur le sujet que nous souhaitons aborder, mais convaincus que des approches théoriques connexes – empruntées à la psychologie du couple – peuvent apporter un éclairage pertinent pour atteindre notre fin, nous avons utilisé une démarche inductive (Eisenhardt, Graebner, 2007). Aussi, à partir de nos deux questions de recherche – Qu’est ce qui conditionne le soutien du conjoint à l’entrepreneur féminin ? Comment la femme entrepreneur perçoit-elle ce soutien ? –, nous avons identifié un corpus théorique, extérieur à notre champ d’exploration, qui nous a servi de guide dans notre analyse empirique.

15Le thème du soutien du conjoint aux femmes entrepreneurs se situe à la croisée de deux champs théoriques : le conflit travail-famille et la psychologie du couple, en particulier le fonctionnement du mariage pris dans un sens générique, au-delà de son aspect juridique. Nous avons eu recours à ces deux littératures pour appréhender le rôle du conjoint et les motivations de ce dernier pour soutenir sa femme dans une démarche entrepreneuriale : la théorie du contrat de mariage (Sager, 1976) et celle relative à l’idéologie en matière de répartition des rôles selon les sexes (en anglais, « gender role ideology ») (Greenstein, 1995 ; Minotte, Minotte, Pedersen, Mannon, Kiger, 2010) sont deux approches théoriques que nous avons privilégiées et qui constituent notre éclairage théorique exploratoire.

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