En supposant que vous ayez suivi vos rêves d’enfance
L’enfant rêve, c’est un fait. Il n’est pas rare qu’il en fasse état – « Tu sais, cette nuit, j’ai rêvé que… » Et de raconter, comme s’il avait connu la nuit d’avant une petite aventure qui semble avoir à peine interrompu son sommeil et prend place spontanément dans la chronique de sa vie ! Tel un certain petit Hans, se
réveillant sous l’effet d’une rencontre nocturne, sortant de son lit puis se rendormant, avant de raconter au réveil : « Dans la nuit, il y avait deux girafes… » Le rêve de la petite enfance se présente comme un spectacle de nuit qui s’ouvre, évoqué moins comme une imagination que comme une expérience.
L’« autre scène du rêve » semble chez l’enfant séparée par une mince tenture de la scène de la réalité, elle-même ludique et « onirisée ». L’enfant peut aussi être précipité dans cette autre dimension du cauchemar qui l’expulse en catastrophe du sommeil – ce qui préoccupe spécialement les familles, enclines à oublier par là même la fonction de désirance que remplissent ces équipées dans le monde des rêves. Comme nous le verrons, ces deux expériences oniriques opposées renvoient aux mêmes enjeux.
À quoi donc riment ces rêves ? Il faut se tourner vers la psychanalyse pour situer la portée de l’activité onirique dans la vie psychique de l’enfant.
3Freud réalise une percée majeure dans la théorie du rêve à partir de l’axiome, induit du déchiffrement des rêves, que le « rêve est la réalisation (déguisée) d’un désir (refoulé) [1][1]S. Freud, L’interprétation du rêve, ch. II, G.W.II-III. (Nous… ». Cela s’applique au rêveur adulte. Tout le « travail du rêve » se déploie à partir de cette double considération :
- que le rêve accomplit un désir ou plutôt – nuance décisive – porte à l’expression, comme « acte psychique complet », un « remplissement de désir » (Wunscherfüllung) ou une « motion de désir » (Wunschregung) ;
- que ce remplissement se heurte à l’obstacle actif d’une censure (Traumzensur) qui l’oblige à travailler au moyen d’une série d’opérateurs. Ce n’est que « condensé », « déplacé », figuré, symbolisé, élaboré que le Wunsch se fraie une voie vers l’expression.
Bref, dans la formule précédente, les mots « réalisation » et « désir » représentent la poussée psychique et les termes « déguisée » et « refoulée » l’action de la censure, cette force à la fois inhibitrice et créatrice.
Ce rappel permet de situer d’emblée la question que pose le rêve de l’enfant et par où il convient de l’aborder pour en saisir la nature. On peut avancer qu’il suffit pour l’obtenir de faire tomber les parenthèses : le rêve serait chez l’enfant la réalisation – non déguisée – d’un désir – non refoulé.
Voilà certes un bon départ, mais qui ouvre un questionnement sur le statut enfantin des rêves.
L’enfantin vs l’infantile
Comment se nouent l’enfantin et l’infantile ? Si « l’enfant est le père de l’homme », selon l’adage qui donne toute la portée de l’apport freudien .-L. Assoun, « L’enfant père de l’homme. Figures freudiennes…, le rêve d’enfant pourrait bien être le père du rêve de l’adulte. Après tout, l’adulte rêvant a commencé par faire des rêves d’enfant…
7Il n’est pas faux de dire que, par l’effet de la régression, le sujet redevient enfant sur la scène du rêve. Reviviscence de la scène originelle, transfert sur l’actuel du passé, sachant que « l’inconscient de la vie psychique est l’infantile [ ». L’enfant rêvant serait-il donc, lui, en prise directe sur ce contenu inconscient qui reviendrait laborieusement – au sens d’un « travail du rêve » – chez le rêveur adulte ?