Parlement européen : Jordan Bardella qui adhère aux « Patriotes pour l’Europe », ça veut dire quoi ?
ALLIANCE•Mardi, à l’ouverture de la nouvelle législature du Parlement européen, Jordan Bardella prendra la présidence des « Patriotes pour l’Europe », un nouveau groupe politique créé par le très poutinolâtre Premier ministre hongrois Viktor Orban
A défaut de s’installer à Matignon, Jordan Bardella retourne à Strasbourg ou Bruxelles au Parlement européen. Il y prendra la présidence du nouveau groupe politique « Patriotes pour l’Europe », fondé par le Premier ministre hongrois Viktor Orban. - BERTRAND GUAY-POOL/SIPA / SIPA
Privé d’installation à Matignon, Jordan Bardella reprend son bâton d’eurodéputé et poursuit son combat patriote depuis Strasbourg. Lundi 8 juillet, à peine défait aux élections législatives françaises, le président du Rassemblement national annonçait qu’il rejoignait avec les 29 autres élus de sa liste (issus du ses 32 % au scrutin du 9 juin) un tout nouveau groupe au Parlement européen : « Patriotes pour l’Europe ». Sa création a été annoncée le 30 juin par Viktor Orban. Le remuant Premier ministre hongrois d’extrême droite préside pour six mois le Conseil de l’Union européenne. Il embarrasse déjà les Vingt-Sept avec ses initiatives diplomatiques prorusses et notamment sa visite à Moscou le 5 juillet pour parler de « paix en Ukraine »… aux conditions de Vladimir Poutine.
Qu’est-ce que les Patriotes pour l’Europe ?
Non seulement Jordan Bardella rejoint les « Patriotes pour l’Europe », en tant que plus gros pourvoyeur d’affiliés mais il va les présider. Le groupe doit compter 84 eurodéputés sur un total de 720 : les 30 Français du RN, 11 élus hongrois dont dix du Fidesz de Viktor Orban, 9 Tchèques mais aussi 8 de la Ligue (Lega) de l’ex-Premier italien Matteo Salvini, des élus du FPÖ autrichien, du Parti de la Liberté de Geert Wilders mais aussi des Espagnols de Vox. Le groupe sera le troisième groupe politique le plus important du Parlement, derrière la droite libérale pro-européenne du PPE et les sociaux-démocrates (SD) mais devant Renew, où siègent les macronistes, et devant l’ERC de la droite conservatrice tendance Giorgia Meloni, la Première ministre italienne.
Le « manifeste » fondateur de cette « nouvelle alliance patriotique » lui donne sans surprise pour objectif de lutter contre l’immigration et « de sauvegarder l’identité européenne, ses traditions et ses coutumes, fruits de son héritage gréco-romain et judéo-chrétien ». Il lui assigne aussi la mission de lutter contre les « bureaucrates et les lobbies » tenants d’un « Etat central européen ». Bref, d’œuvrer depuis l’intérieur du Parlement pour limiter son influence dans les pays membres.
Pourquoi enterrer le groupe précédent « Identité et démocratie » ?
Jusqu’à présent, les eurodéputés RN siégeaient au sein du groupe Identité et Démocratie (ID), cofondé en 2019 avec la Ligue de Matteo Salvini du temps de sa splendeur et donc coprésidée par elle. Mais ID ne comptait que 47 eurodéputés de sept nationalités, et avait pris ses distances en mai avec l’AfD allemande après les propos néonazis de son leader. « Rejoindre les Patriotes d’Orban est une occasion pour le RN d’opérer un genre de rebranding [un repositionnement de la marque] qui correspond mieux aux dynamiques politiques actuelles », explique Périne Schir, doctorante à l’université de Rouen et chargée de recherche spécialiste de l’extrême droite française à l’université George-Washington (États-Unis). Pour la chercheuse, c’est aussi « l’occasion de se défaire du boulet que représente la Lega de Salvini », qui avec ses huit élus cette fois contre 29 en 2019, ne pourra plus prétendre coprésider le groupe. Ce, même si le boulet n’est qu’allégé puisque l’ex-général italien Roberto Vannacci, dont les propos homophobes ont fait scandale en février, est annoncé comme l’un des six vice-présidents de Jordan Bardella.
Avec un groupe bien plus important que ID, les Patriotes comptent aussi gagner en postes importants et en temps de parole au sein du Parlement. Mais pour savoir si ce pari-là est réussi, il faudra attendre l’installation officielle de la nouvelle législature ce mardi 16 juillet. Périne Schir relève que Giorgia Meloni avait fait le même calcul en 2019 avec l’ERC, alors troisième force du Parlement, « sans y parvenir ».
Est-ce un reniement sur L’Ukraine ?
« Je ne laisserai pas l’impérialisme russe absorber un Etat allié comme l’Ukraine. » Jordan Bardella a fait cette déclaration lors d’un débat sur France 2 le 27 juin, trois jours avant le premier tour des législatives, probablement pour rassurer l’opinion et couper court aux éternels soupçons de russophilie qui pèsent sur le RN. S’allier deux semaines plus tard aux partisans de Viktor Orban, le principal soutien européen de Vladimir Poutine, sonne comme un gros rétropédalage à moins qu’il n’ait fait en l’air une promesse de circonstances.
Teery Reintke, la cheffe des eurodéputés Verts n’a aucun doute sur les intentions des « Patriotes pour l’Europe » : « L’alliance des forces pro-Poutine et d’extrême droite est un cadeau à Moscou et vise à déstabiliser la démocratie européenne. Peut-être faudrait-il les appeler « les Patriotes russes » », a-t-elle déclaré lundi.
Périne Schir se montre plus nuancée. « La position prorusse des Patriotes n’est pas exprimée dans leur manifeste qui est pour le moment le seul texte dans lequel ils expliquent un minimum leur idéologie, elle n’a pas été exprimée non plus sur les réseaux sociaux par les personnes qui ont cofondé le groupe », relève-t-elle. Elle note aussi et surtout la présence au sein du groupe des Espagnols de Vox, « ouvertement atlantistes » et donc pro-Ukraine. Pour la spécialiste, il faudra attendre les votes des prochaines semaines, sur des sujets contre les sanctions contre la Russie ou l’aide à l’Ukraine, pour savoir à quoi jouent vraiment les Patriotes. Pour l’instant, leur manifeste se contente de reconnaître « la diplomatie comme un élément fondamental de la souveraineté des Etats membres ». Pas question donc pour eux de la diplomatie européenne chère à Emmanuel Macron.