Les victimes seront désormais averties de la sortie de prison de leur agresseur, une mesure applaudie par certains, critiquée par d’autres
Le ministre Gérald Darmanin entend placer « la victime au centre, au lieu de l’accusé ». Contactés par franceinfo, des avocats saluent une avancée qui va « dans le bon sens » ou déplorent un « effet d’annonce ».
Le bus de ville s’était arrêté pour laisser monter quelques passagers. Pauline*, 25 ans, rentrait chez elle avec son bébé quand elle croise le regard de l’homme qui l’a agressée sexuellement à ses 12 ans, qu’elle croyait derrière les barreaux. « Je comprends que c’est lui », raconte-t-elle à franceinfo, cinq ans plus tard. La panique la submerge, elle tremble, pleure, descend en urgence. « Je me rappelle devoir m’asseoir au sol contre un mur, incapable de marcher », souffle la jeune femme.
Gérald Darmanin entend mettre un terme à ces situations. Par une instruction ministérielle entrée en vigueur lundi 20 octobre, le garde des Sceaux veut que « toutes les victimes soient prévenues quand leur agresseur sort de prison ». « Il est normal, si vous êtes victime de viol, que vous puissiez savoir quand la personne va sortir de prison », a-t-il plaidé sur LCI(Nouvelle fenêtre), promettant de « changer totalement le paradigme du ministère de la Justice » en plaçant « la victime au centre, au lieu de l’accusé ».
Une notification automatique
L’annonce intervient quelques mois après le suicide de Yanis, 17 ans, survenu fin mars. Le jeune homme s’était suicidé après avoir appris la libération de l’homme qui l’a agressé sexuellement quand il avait 12 ans. Ses parents, jamais officiellement informés, avaient exprimé leur colère. L’affaire avait provoqué une onde de choc et ravivé un débat sensible : faut-il systématiser l’information des victimes sur la libération de leur agresseur ? La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) militait depuis longtemps pour une telle mesure. En avril, elle déplorait le fait que prévenir les victimes ne soit « pas une obligation », rappelant que ces rencontres fortuites réactivent « la peur, la colère, l’impuissance ».
Dans les faits, ce dispositif n’est pas entièrement nouveau. Depuis 2021, les victimes de violences conjugales sont déjà informées des permissions ou des libérations de leur conjoint violent. Pour les autres, la notification restait optionnelle, souvent conditionnée à une demande explicite. Désormais, elle devient automatique et étendue à toutes les atteintes aux personnes. Thibault Laforcade, avocat dont le cabinet défend « la majorité du temps » des victimes, reconnaît que le texte va « dans le bon sens », mais tempère.
Il explique que dans nombre de dossiers, les magistrats préviennent déjà les parties civiles. « Le système judiciaire a beaucoup évolué ces dernières années dans la prise en compte des victimes », avance-t-il. Il cite en exemple « un client qui a été agressé dans une cité de Marseille », pour lequel il est tenu « informé à chaque fois qu’il y a une demande de mise en liberté de la part de son agresseur ».
« Les victimes ne sont pas délaissées, elles peuvent être informées »
Margaux Castex, avocate pénaliste, semble encore plus mitigée : pour elle, la mesure soulève davantage d’inquiétudes que d’espoir. « Je trouve que c’est un effet d’annonce », lâche-t-elle sans détour. Elle fustige une mesure « inutile, doublon et qui va mettre de l’huile sur le feu ». Le suivi des condamnés, notamment en cas de réclusion criminelle, permet déjà d’associer les victimes aux décisions d’aménagement de peine, rappelle-t-elle, précisant que « les rapports du SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] indiquent toujours la possibilité de demande de libération et les victimes sont consultées ». Elle redoute aussi les « raccourcis » et la confusion : la date de sortie ne signifie pas forcément que la peine est terminée.
« Ça risque de renforcer l’idée que la justice est laxiste, alors qu’il s’agit de droit et d’exécution de peine. »
Une autre inquiétude la taraude. L’avocate, qui plaide souvent en défense, craint que « donner cette information dans toutes les affaires n’envenime certaines situations, voire amène des règlements de compte à la sortie de prison ». La mesure concernera en effet désormais « toutes les infractions impliquant une atteinte à la personne », mais pas aux biens, ce qui élargit considérablement son champ d’application. Consciente de cet équilibre fragile entre transparence et apaisement, elle aspire à une « approche mesurée ». Elle souligne d’ailleurs que, jusqu’à présent, « les victimes ne sont pas délaissées : si elles souhaitaient être tenues informées, elles peuvent l’être ». Autrement dit, pour la pénaliste, le système passé permettait déjà un suivi, sans risquer d’attiser les tensions.
Des décisions qui demandent à être expliquées
Laurie, 38 ans, ignorait pourtant qu’une telle demande était possible. Alors, quand elle a croisé dans l’ascenseur l’homme condamné pour l’avoir agressée sexuellement, la sidération a été immédiate. « J’étais perturbée et énervée », se souvient-elle. « Pour moi, il allait rester encore deux mois en prison. Etre prévenue en amont, ça permet de ne pas être surprise ! » soupire cette artiste.


