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“Le sentiment de trahison est très fort”, Yohanna Brette, fille d’une victime de l’attentat du DC10, partie civile lors du procès Sarkozy-Kadhafi

Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Derrière cette condamnation, il y a des victimes comme Yohanna Brette. La Lyonnaise a perdu sa mère dans l’attentat du DC10 en 1989, orchestré par le régime de Kadhafi, dont des commanditaires ont été au centre du procès de l’ancien président français.

“Bonjour, je m’appelle Yohanna et je suis partie civile dans le procès des financements libyens de Nicolas Sarkozy”. Yohanna Brette est une Lyonnaise de 37 ans.

Comme bon nombre de citoyens français, elle a suivi de près l’incarcération, le mardi 21 octobre 2025, de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy. Pour la première fois de l’histoire, un président de la République européen est emprisonné. Ce dernier a été condamné en première instance à cinq ans de prison, reconnu coupable “d’association de malfaiteurs” dans l’affaire du financement lydien.

Pour Yohanna, cet évènement revêt une signification particulière. La jeune femme a perdu sa mère à l’âge d’un an et demi dans un attentat perpétré le 19 septembre 1989 par le régime de Kadhafi. Ce jour-là, le vol UTA 772 explose au-dessus du Niger, tuant 170 personnes à son bord, dont 54 Français.

Certains des commanditaires auraient été liés au financement libyen de la campagne présidentielle de Monsieur Sarkozy en 2007.

Des révélations qui laissent place au doute
“Les premiers faits ont été relatés par Mediapart en 2012. C’est comme ça que j’ai su qu’il y avait un lièvre », explique Yohanna. Alertée, la jeune femme refuse de croire en cette théorie. “Je suis pupille de la nation et pour moi la République, c’est le cadre. Les gens qui sont élus par les citoyens sont censés représenter mes intérêts et mes intérêts, ce sont les mêmes que la France, c’est-à-dire le respect de la mémoire de nos morts », explique celle qui n’était encore qu’une étudiante au moment des révélations. D’autant plus que la Lyonnaise croise régulièrement Nicolas Sarkozy lors des commémorations.

Mon grand-père était très très fier de pouvoir montrer et présenter sa petite fille à des hommes aussi importants. Il me disait : Tu vois, maman, même si elle est morte aujourd’hui, sa mémoire a une place au sein de notre pays donc on n’est pas là pour rien.
Yohanne Brette
Sa mère est morte dans l’attentat du DC10 le 19 septembre 1989

Yohanna se souvient de la gentillesse de l’ancien président, des poignées de mains serrées et de ses mots : “Aucun terroriste n’a sa place dans les échanges avec la France”.

“Le sentiment de trahison est très fort »
Mais petit à petit, le doute s’installe, remplacé ensuite par la stupeur, l’incompréhension et la colère. “Le sentiment de trahison est très fort. On se sent floué, bafoué. On comprend qu’il y a la République des puissants et la République des faibles”, affirme tristement Yohanna, avant d’ajouter :

“On se dit que ce n’est pas possible, que notre président de la République, ancien ministre de l’Intérieur, n’a pu s’associer avec d’anciens terroristes pour des raisons assez obscures et pour faire financer sa campagne électorale”.

Un procès douloureux…
Commence alors une quête de vérité pour Yohanna, jusqu’au procès à l’été 2025. Un moment que la jeune femme vit douloureusement. “On s’est retrouvé victimes de ces tractations et victimes du discours absolument mortifère et nauséabond de Nicolas Sarkozy et de ses équipes”, se remémore la Lyonnaise.

Elle se souvient de la faible couverture médiatique du procès, particulièrement du côté de victimes. “C’était douloureux de rentrer dans la salle, de voir qu’il y avait les huit mêmes journalistes et que tous les micros étaient tournés vers Nicolas Sarkozy », explique Yohanna.

“C’était affreux de voir que sur les plateaux télé, ce n’étaient pas des journalistes police-justice, mais des éditorialistes, en général politiques, qui n’avaient pas suivi le procès, qui pour la plupart n’avaient pas lu le jugement et qui ne voulaient parler que de la forme”, renchérit la jeune femme.

… mais libérateur
À la barre, la douleur se mélange avec le sentiment de libération. “C’était aussi important pour nous les victimes d’être entendues par un tribunal”, déclare libérée la jeune femme. À la suite de l’attentat, un jugement par contumace avait établi en 1999 la peine de prison à perpétuité des terroristes. Mais au cours de ce premier procès, aucune partie civile n’avait pu être entendue.

En deuxième, on venait pour la vérité. On l’attendait de la part des prévenus. On s’attendait à ce que Brice Hortefeux, Claude Guéant avouent qu’ils avaient fauté. Tout le monde est humain, il y a des choses qu’on peut entendre, ça ne veut pas dire qu’on les comprend et qu’on les pardonne, mais on peut entendre.
Yohanne Brette
Partie civile lors du procès Sarkozy-Kadhafi

Au tribunal, Yohanna réclame également la justice. “Elle nous a été apportée en reconnaissant ces hommes coupables, c’est-à-dire en expliquant en quoi les faits qu’on leur reprochait sont avérés et réels”, souligne la jeune femme, qui remercie l’institution judiciaire pour son travail.

Nicolas Sarkozy a fait appel de sa condamnation. Un nouveau procès pourrait donc se tenir dès le printemps 2026. Yohanna espère, comme les autres familles de victimes, une fois de plus, que la vérité soit énoncée. “Ils ont encore la possibilité d’avouer, de s’excuser, d’expliquer, de reconnaître leurs fautes”, conclut la jeune femme. Elle sera présente à la diffusion du documentaire de Médiapart, « Personne n’y comprend rien », le jeudi 30 octobre à l’aquarium Ciné-Café de Lyon.

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